Historique du 32e Régiment d’Infanterie  durant la Guerre 1914 - 1918

(Source GenemilAssoc   André GADIOUX & Maurice POURON)

Dès le 4 mai, la préparation commença sur Chevreux : le 1er et le 3e bataillon étaient en ligne. Le travail de l'artillerie fut formidable; les obus de tous calibres tombaient exactement sur les « Courtines ». Ce pilonnage intensif, qui dura des heures et des heures, donnait confiance au fantassin; à l'heure H, il sortirait de la tranchée avec courage, et, protégé par le « barrage roulant » précédant de quelques mètres la vague d'assaut, il irait tuer à la grenade ou cueillir dans son abri le Boche qui resterait terré.

Au soir du 8 mai, sortant à 17 heures de ses parallèles de départ, le bataillon PETETIN (3e) appliqua cette méthode la 9e et la 11e compagnie franchirent la ligne des Courtines et s'installèrent dans la « tranchée Turque » ; elles firent de nombreux prisonniers. Mais à leur gauche, le 1er bataillon fut moins heureux : devant lui certains points de la ligne ennemie n'avaient pas été battus suffisamment par l'artillerie, dont le tir avait été souvent trop court. La 3e compagnie fut bloquée dès la première minute par les mitrailleuses et ne put sortir; la 1re compagnie avança un peu, mais, violemment contre-attaquée, revint à ses emplacements. Ainsi, sa gauche découverte, le 3e bataillon était dans une mauvaise situation. Sous la superbe impulsion de son chef, le capitaine FOURNIER, la 9e résista aux contre-attaques. Un peloton du 2e bataillon fut envoyé pour la couvrir à gauche. Il était trop tard. La 9e compagnie avait dît revenir dans sa tranchée de départ.

La 10e occupa dans la nuit les positions conquises par la 11e en liaison avec le 66e.

Une opération de ce genre devait réussir. Elle avait en partie échoué ; nous devions la renouveler, mais une nouvelle préparation nécessitait des bases nouvelles. C'est ce qu'établit le 32e dans les jours suivants. Travaux et opérations partielles occupèrent les trois bataillons, et le 24 mai le commandant HERMENT, avec son bataillon en liaison avec le 77e, reçut le même objectif d'attaque que le 8. On y mit le prix : l'artillerie fut parfaite, et les appareils « Schilt » (liquides enflammés) nettoyèrent merveilleusement les abris. Chevreux pouvait être cité comme le premier fait d'armes qui valait au 32e sa deuxième citation à l'ordre de l'armée. Sur les 475 pertes que le régiment avait subies du 2 au 24 mai, cette dernière attaque, - la seule vraiment heureuse, - ne coûtait que 4 tués et 17 blessés. Les nombreux permissionnaires qui partaient le 28 mai de Hourges et d'Unchair emportaient chez eux l'impression que « les affaires marchaient bien ». Après des jours sombres et pénibles, s'annonçait l'aurore d'un renouveau ensoleillé.

Un mois de détente à Hourges, puis à Romain et Meurival. Après quoi, les 6 et 7 juillet, sous les ordres du lieutenantcolonel SAUGET, le régiment se glissait dans les brouillards de l'Aisne. Par le bois des Couleuvres et le bois de Beau-Marais, nous entrions dans un monde étrange et formidable: au régiment était confiée la garde de Craonne et du plateau de Californie. Craonne ! c'est-à-dire un chaos de décombres, un enchevêtrement de pierrailles et de poutrelles dans une indéfinissable odeur de poudre et de pourriture, un de ces lieux où la guerre et la mort se symbolisent en un paysage de muette et tragique désolation. Cependant une vie souterraine intense animait ces ruines, dans l'immense labyrinthe que les Allemands nous avaient abandonné sous les débris du village. A gauche, les sables du Chemin des Dames s'enlevaient d'un puissant effort vers le plateau de Californie, troué d'entonnoirs comme un paysage lunaire et sur lequel veillaient le 1er et le 3e bataillon. A droite, le 2e bataillon, établi vers le cimetière de Craonne, dominait les marais de l'Ailette, la plaine de Corbeny, le lacis blanchâtre des tranchées de Champagne.

Nous eûmes quelques jours de calme relatif et qui furent comme une veillée des armes prolongée. Nous en profitions pour travailler et aménager ce secteur, où n'existaient ni boyaux, ni défenses accessoires. Travail sans gloire, mais cependant ingrat et dangereux. Entre deux bombardements, près de l'ennemi, il faut à la fois diriger l'outil et surveiller l'arrivée des grenades à ailettes. On a fini; mais dans ce sol sans consistance, la tranchée péniblement creusée s'éboule. Il faut recommencer, et on recommence. Sur les positions, les camarades qui veillaient repoussèrent plusieurs coups de main. Le 14 juillet, l'ennemi faisait vainement une nouvelle tentative après avoir déclenché sur tout le front du secteur un tir de barrage extrêmement violent par obus de tous calibres, accompagné de nombreux tirs de granatenwerfer et de torpilles.

Le 15 juillet, le régiment était relevé de ses positions.

Le 19, à 7 heures, tout le secteur de la division était soumis à un tir de préparation d'une violence inouïe. En peu d'instants, la crête de Californie disparut dans une tempête de mitraille, de feu et de sable. Les ruines de Craonne et les arrières parurent en proie à une éruption formidable qu'étoilait l'éclatement des projectiles. Derrière ce mur d'acier, l'ennemi entamait nos lignes sur le plateau des Casemates et le plateau de Californie. Le 32e, dont les trois bataillons étaient alors en réserve, fut appelé à rétablir la situation.

Le bataillon HERMENT (1er), aussitôt alerté au Champ d'Asile, se portait vers le plateau des Casemates, au secours du 66e R. I... Merveilleusement commandé, il se glissait entre les zones de mort; il se déployait avec un ordre et une précision dont l'effet était d'une émouvante grandeur dans la confusion de la bataille. A 16 heures 30, la charge se déclenchait brusquement sur le terrain chaotique et à chaque instant boule-versé. Beaucoup des nôtres, hélas! tombèrent au cours de cette marche héroïque. Le sous-lieutenant BIZON, qui, en avant de ses hommes, s'était détaché pour les entraîner et pour aborder plus vite la position ennemie, était frappé d'une balle au coeur. Mais l'ennemi, saisi corps à corps, était surpris, bousculé. Le geste inlassable de nos grenadiers le balayait de la position intégralement reconquise, dépassée cri certains points. Le bataillon HERMENT continua à s'y maintenir jusqu'au 23 juillet, sous des bombardements obstinés, résistant victorieusement aux contre-attaques de l'ennemi.

Sur la droite, le bataillon PETETIN (3e) venait au secours du 77e R. I. A la suite d'une laborieuse marche d'approche effectuée sous de formidables barrages d'artillerie, mitraillé à cent cinquante mètres par des escadrilles d'avions ennemis, il prenait son dispositif d'attaque sur le versant du plateau de Californie. A 19 heures, au pas de course, il dépassait la crête du plateau et atteignait notre ancienne ligne de doublement. L'ennemi s'y défendait désespérément, et, à bout portant, il y fallait tuer les mitrailleurs allemands sur leurs pièces. On repartait, et un combat à la grenade nous rendait les trois quarts de la tranchée de première ligne. Relevé le 21 juillet, le 3e bataillon revenait s'installer le lendemain sur la crête du plateau menacée par la contre-attaque ennemie; il s'y portait dans les mêmes conditions et avec la même intrépidité que le 19, et s'y maintenait sans faiblir sous des tirs d'artillerie incessants et très nourris.

Le bataillon PEYRE (2e), à la disposition du colonel MAILLARD, commandant le 77e R. I., fut, par suite des circonstances, morcelé et engagé par unités successives. Le 19 juillet, en plein jour et malgré le bombardement, la 5e compagnie allait établir une liaison rompue entre les éléments disjoints des 66e et 77e; et le 22, elle effectuait à nouveau une mission identique. La 6e compagnie se déployait au-dessus de la car riére de Craonne, sous une avalanche d'obus qui cherchaient à interdire le débouché du Tunnel que les Allemands connaissaient bien. La 7e compagnie, qui s'était disposée dans les vestiges d'une tranchée où elle devait tenir à tout prix, se portait résolument en avant, le 19, en voyant se déclencher la contre-attaque du bataillon PETETIN et engageait avec acharnement un combat corps à corps.

Lorsque, le 24 juillet, arriva l'ordre de la relève définitive, il semblait qu'on fût allé au delà même des forces humaines; on avait souffert de toutes les façons. On s'était battu sous un bombardement incessant, par la chaleur de juillet, dans la sueur et la poussière, sans ravitaillement, sans sommeil pendant cinq jours. Plus de 500 des nôtres avaient donné leur sang ou leur vie. Le capitaine DELOUSTAL, les lieutenants HÉNAULT et DUPONT, les sous-lieutenants ARAGNOUET, BIZON et LAPALUS avaient trouvé une mort glorieuse. Mais Craonne et le plateau de Californie étaient sauvés.

Une deuxième citation à l'ordre de l'armée consacre les exploits accomplis par le régiment sur le front de l'Aisne.

ORDRE DE L'ARMÉE No 294

Le Général Commandant la Xe Armée cite à l'ordre de l'Armée

LE 32e RÉGIMENT D'INFANTERIE

A pris part, le 8 mai 1917, à l'attaque des Courtines et du Bastion de Chevreux. Le 24 mai a, par sa vigoureuse offensive, achevé la conquête de ce Bastion boisé que défendaient des blockhaus cimentés. Le 19 juillet, venant à peine de quitter les lignes où il avait passé dix jours sous un bombardement continuel, a engagé, entre 16 heures et 20 heures, successivement ses trois bataillons en contre-attaques dans des quartiers du secteur qu'ils ne connaissaient pas ; est arrivé, par des combats qui ont duré toute la soirée et toute la nuit, à reconquérir presque tout le terrain perdu et à consolider la position.

Le 22 juillet 1917, attaqué sur les emplacements qu'il avait pu reconquérir le 19, n'a cédé momentanément qu'en quelques points et, par un combat acharné de jour et de nuit à la grenade, a tenu sur place jusqu'à ce que des renforts soient venus le relever.

Au Q. G., le 17 août 1917.

Le Général Cdt la Xe Armée,

Signé : DUCHENE.

DANS L'ATTENTE DES COMBATS DÉCISIFS

(27 juillet 1917-3 avril 1918).

Au camp de Bois-l'Évêque. – En Woëvre. - L'Information américaine. - Dans le secteur d'Einville. - Sur le plateau de Langres. - Retour en Lorraine.

Au sortir de l'enfer de Craonne, combien nous furent d'un effet bienfaisant la tranquillité du camp de Bois-l'Évêque, le calme et la fraîcheur des bords de la Moselle, les frondaisons sereines de la grande forêt de Haye ! Partis de Fismes le 27 juillet, nous débarquions le lendemain soir à la gare de Maron et nous nous retrouvions dans la région même où le régiment avait opéré sa concentration trois ans auparavant. Une telle coïncidence favorisait le retour de l'esprit vers un passé déjà lointain. Avec mélancolie et fierté, sur ce coin de Lorraine familier, beaucoup de vieux soldats revivaient intensément leur odyssée; et du passé au présent se faisait spontanément l'évocation des jours de guerre qui furent longs comme des années, des années de campagne qui parurent des siècles... Nous étions heureux de nous trouver dans cette Lorraine, où la vie est large et généreuse et où l'habitant réserve au soldat fatigué un accueil cordial et familier.

Pendant cette période, les permissions de détente furent accordées avec une libéralité depuis longtemps inconnue; plus de 250 hommes furent mis à la disposition des communes environnantes pour être employés aux travaux agricoles, et de nombreux officiers et hommes de troupe furent envoyés aux différents cours d'instruction et de perfectionnement. Il ne restait au corps que des effectifs extrêmement réduits lorsque, vers le 20 août, le régiment fut reconstitué et ses diverses unités réparties sur le territoire de la 8e armée, dans la région de Toul - Domgermain et en Woëvre, dans la région d'Ansauville. Elles y furent employées à la construction de routes, d'abris, d'emplacements de batteries, à la création d'une deuxième position. Les soldats du régiment, qui ont toujours été de grands remueurs de terre, exécutèrent ces travaux à l'entière satisfaction des autoritës qui en avaient la direction.

Le 6 septembre, le régiment se rassemblait au sud-ouest de Toul, puis était transporté en automobiles dans une nouvelle zone de cantonnement, sur les plateaux meusiens, dans la région Gondrecourt-Mauvages-Badonvillers.

Le 12 septembre, sur le plateau de Delouze, le général Pétain passait en revue la 18e division rassemblée et remettait solennellement la fourragère aux couleurs de la croix de guerre aux trois régiments d'infanterie (32e, 66e, 77e).

Le régiment eut alors pour mission de continuer l'information des 16e et 18e régiments américains. Si, en considération du passé glorieux du régiment, de l'esprit de discipline qui a toujours été dans la tradition du corps, le haut commandement français nous avait désignés pour cette mission délicate, de notre côté, nous étions heureux et fiers d'initier à la grande guerre les premiers éléments de la jeune et ardente armée américaine. Officiers et soldats qui avaient participé aux expéditions aventureuses des Philippines ou du Mexique s'étonnaient des méthodes et des procédés de combat dont nous leur faisions la démonstration. Mais, sensibles au prestige que nous conféraient plus de trois années de guerre, d'épreuves et de souffrances, confiants en notre expérience, conquis d'ailleurs par la modestie et la simplicité de nos soldats, ils provoquaient nos explications avec une curiosité inlassable et mettaient à nous imiter la meilleure volonté.

Vigoureux, adroits, sportifs, leurs grenadiers devenaient pour les nôtres des concurrents sérieux dont le désir était vif de réaliser à nouveau, en face des tranchées ennemies, les records établis sur le terrain d'exercice.